Page:Tourgueniev - Dimitri Roudine, 1862.djvu/227

Cette page n’a pas encore été corrigée

Le printemps, le printemps arrive ! Je suis assis à la fenêtre, mon regard franchit la rivière et se repose sur les champs. Ô nature, nature ! je t’aime, quoique je sois sorti de ton sein incapable de vivre. Voilà un petit oiseau qui déploie ses ailes et sautille ; il crie, et chaque vibration de sa voix, chaque petite plume ébouriffée de son corps mignon, respire la santé et la force…

Que s’ensuit-il ? rien. Il se porte bien, et a le droit de crier et de secouer ses plumes : moi je suis malade et je dois mourir : voilà tout. Ce n’est pas la peine de s’y arrêter davantage. Ces larmoyantes invocations à la nature sont ridicules à l’excès. Revenons à notre récit.

Comme je l’ai dit déjà, je grandis péniblement et sans joie. Je n’avais ni frères ni sœurs. On m’élevait à la maison, De quoi se serait donc occupée ma mère, si on m’avait mis en pension ou envoyé dans un établissement public ? Les enfants sont là pour empêcher les parents de s’ennuyer. Nous demeurions habituellement à la campagne et n’allions à Moscou que de temps à autre. J’avais des précepteurs et des maîtres selon l’usage. Je me souviens surtout d’un Allemand maigre et pleurnicheur, du nom de Rickmann. Cet être extrêmement triste et maltraité du sort se consumait inutilement à regretter sa patrie lointaine.

Plus d’une fois, tandis que, dans l’affreuse chaleur d’une antichambre étroite, tout infectée de l’odeur aigre du kvass, mon vieux menin Basile, surnommé