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élèves du gymnase des cours comme n’en entendent que rarement les étudiants de l’université ; mes auditeurs en tiraient pourtant peu de profit car, tu le sais, mon érudition est assez mince et je suis plutôt un vulgarisateur qu’un savant proprement dit. D’un autre côté, je ne pouvais me contenter du cercle étroit où tournait mon activité. Tu n’ignores pas que ce tort a toujours été le mien. Je voulais une transformation radicale dans mon gymnase, et je te jure que cette transformation était réalisable, facile même. J’espérais y parvenir par l’entremise du directeur, honnête et excellent homme, sur lequel j’avais commencé à prendre de l’influence. Sa femme me venait en aide. Ami, j’ai rarement rencontré une femme qui lui ressemblât. Elle avait déjà près de quarante ans, mais elle croyait au bien, elle aimait le beau avec toute l’ardeur d’une jeune fille de quinze ans, et elle était assez courageuse pour soutenir ses convictions devant l’univers entier. Je n’oublierai jamais son noble enthousiasme, sa pureté. Je traçai un plan d’après ses conseils. C’est alors qu’on travailla à me diminuer et à me noircir dans son esprit. Le professeur de mathématiques se montra mon plus cruel ennemi. Figure-toi un petit homme mordant et bilieux, sans croyance aucune, un homme dans le genre de Pigassoff, seulement bien plus distingué que lui… À propos, Pigassoff vit-il encore ?

— Oui, et imagine-toi qu’il a épousé une bourgeoise qui le bat, dit-on.