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paroles n’aboutiraient à rien ; mais ici… ici c’était un tout autre champ qui s’ouvrait devant mes spéculations… J’amassais des livres sur l’agronomie… j’avoue que je n’en lus pas un seul jusqu’au bout. Mais enfin je m’étais mis à l’œuvre. D’abord cela n’alla pas comme je m’y étais attendu, puis enfin cela sembla prendre une meilleure tournure. Mon nouvel ami se taisait toujours ; il ne faisait que regarder et ne me gênait en rien, ou plutôt n’apportait d’obstacle matériel à aucune de mes entreprises, un peu hasardées, je dois en convenir. Il adoptait mes plans et les mettait en action, mais avec entêtement et roideur, avec une secrète méfiance surtout, et en cherchant à y fourrer du sien sans m’en prévenir. Il avait la plus grande estime pour la moindre de ses idées et s’y cramponnait avec mille efforts, comme ces bêtes du bon Dieu qui, montées sur le faîte du plus petit brin d’herbe, s’y accrochent, toujours prêtes à déployer leurs ailes et à prendre leur essor ; puis, tout à coup, il retombait pour essayer de grimper encore. Ne sois pas surpris de toutes ces comparaisons : alors déjà elles naissaient dans mon cerveau. Voilà quelles furent mes occupations pendant deux ans. Malgré tous mes soins, les résultats ne répondaient guère à mes rêves. Je commençais à me lasser, mon ami m’ennuyait et me pesait comme du plomb. Je devins aigre et maussade. Sa méfiance se convertit en une irritation sourde ; une malveillance mutuelle s’empara de nos cœurs et nous en vînmes à ne plus pouvoir parler tranquillement sur