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de la kibitka. Il portait une casquette ; son habit était usé et couvert de poussière. Il baissait la tête et avait enfoncé la visière de sa coiffure jusque sur ses yeux. Les cahots irréguliers de la voiture le jetaient de côté et d’autre ; mais il semblait insensible à ces désagréments, on aurait dit qu’il sommeillait. Enfin il se redressa : c’était Roudine.

— Quand arriverons-nous donc au relais ? demanda-t-il au paysan qui était juché sur le siège.

— Nous y voici bientôt, petit père, répondit le paysan en tirant les rênes avec plus de force ; une fois que nous aurons gravi jusqu’au haut de la montée, il ne nous restera plus que deux verstes… Allons, toi, s’écria-t-il en apostrophant un des chevaux, est-ce que tu rêves ? Je t’en donnerai des rêves, continua-t-il d’une voix glapissante en frappant à tour de bras sur le cheval de droite.

— Il me semble que tu vas bien mal, fit observer Roudine. Voilà toute une matinée que nous roulons sans avancer. Si, du moins, tu me chantais quelque refrain.

— Et que puis-je y faire, petit père ? Vous voyez bien que les chevaux sont exténués. La chaleur est affreuse. Pourquoi voulez-vous que je chante ? Est-ce que je suis un postillon, moi ?… Ohé ! s’écria-t-il tout à coup en s’adressant à un passant habillé d’une espèce de souquenille brune et chaussé de vieux souliers en écorce de bouleau, fais donc place, mon bonhomme !

— Voilà un fameux cocher ! grommela le passant