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fait le malheur de Roudine, c’est qu’il ne connaît pas la Russie, et certes ce malheur est grand pour lui. La Russie peut se passer de chacun de nous, mais aucun de nous ne peut se passer de la Russie. Malheur à celui qui ne le comprend pas, deux fois malheur à celui qui oublie réellement les mœurs et les idées de sa patrie ! Le cosmopolitisme est une sottise et un zéro, ni arts, ni vérité, ni vie possible : il n’y a que l’impuissance et le néant. Toute figure idéale doit représenter un type, sous peine de devenir à l’instant insignifiante et vulgaire. Mais, je le répète encore, Roudine reste plus innocent de sa destinée qu’on ne le croit. Cette destinée est déjà bien assez amère et pesante, sans que nous en fassions retomber sur lui la responsabilité entière. Maintenant, pourquoi cette race à laquelle appartient Roudine apparaît-elle fréquemment en Russie ? C’est ce que je ne veux pas examiner, de peur de me laisser entraîner trop loin. Contentons-nous d’être reconnaissants pour ce qu’il a de bon. Cela vaudra mieux que l’injustice, et nous étions injustes envers lui. Nous n’avons pas la mission de le punir de son insuffisance, et cette punition n’est même pas nécessaire, croyez-moi : il se punira lui-même bien plus cruellement qu’il ne le mérite. Dieu veuille que le malheur le dépouille de tout ce qui est mauvais en lui et ne lui laisse que ses belles qualités ! Je bois à la santé de Roudine ! je bois à la santé du camarade de mes meilleures années, je bois à la jeunesse,