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— Rien de déshonorant ? Miséricorde ! et sa vie éternellement aux frais d’autrui, et ses emprunts… Je parierais qu’il vous a aussi emprunté de l’argent, Michaël Michaëlowitch ?

— Écoutez, monsieur, commença Lejnieff, tandis que son visage prenait une expression sérieuse : vous savez, et ma femme sait aussi, que je ne ressentais pas dans les derniers temps une inclination particulière pour Roudine ; bien souvent, au contraire, je me suis élevé contre lui. Malgré cela (Lejnieff versa du vin de Champagne dans un verre), voici ce que je vous propose : nous venons de boire à la santé de notre frère aimé et de sa fiancée : eh bien ! buvons maintenant à la santé de Dimitri Roudine !

Alexandra et Pigassoff regardèrent Lejnieff d’un air surpris, mais Bassistoff rougit de plaisir et ouvrit de grands yeux.

— Je le connais bien, continua Lejnieff, et je ne connais que trop tous ses défauts. Ils sont d’autant plus grands chez lui, que Roudine n’est pas lui-même un petit homme.

— Oh ! s’écria Bassistoff, c’est une nature pleine de génie.

— Il peut avoir du génie, je ne m’y oppose pas, quant à sa nature, c’est par là qu’il pèche. Ce qui lui manque c’est la volonté, c’est le nerf, la force. Mais il ne s’agit pas de cela. Je veux parler à présent de ce qu’il a de bon et de rare. Il a de l’enthousiasme et vous pouvez me croire, moi qui suis un homme flegmatique,