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connaissance d’une Française délicieuse… et modiste. Notez que la chose se passe en Allemagne, sur les bords du Rhin. Il commence par lui faire quelques visites, puis lui prête différents livres et lui parle enfin de la nature et de Hegel. Vous figurez-vous la position de cette malheureuse modiste ? Elle le prend pour un astronome. Son extérieur frappe agréablement, comme vous le savez ; de plus, c’est un étranger – un Russe : comment le cœur de la belle n’eût-il pas été touché ? Après des hésitations sans fin, il se décide à lui donner un rendez-vous, mais un rendez-vous poétique : il lui propose une promenade en gondole sur le Rhin. La Française y consent ; elle met sa plus séduisante toilette, et les voilà tous deux en nacelle. Ils naviguent ainsi pendant trois heures. Je vous le demande, à quoi pensez-vous que Roudine employa tout ce temps ? Mais vous ne devineriez jamais ! Il caressa les cheveux de son Alice, contempla le ciel en rêvant et répéta à plusieurs reprises qu’il ressentait pour sa bien-aimée une tendresse toute paternelle ! La Française, qui ne s’attendait point à cette idylle prolongée, rentra chez elle furieuse. C’est elle-même qui, plus tard, a tout raconté à Terlasoff. Voilà ce qu’est Roudine.

Et Pigassoff éclata de rire.

— Vous êtes un affreux libertin ! s’écria Alexandra avec dépit, mais moi, je suis de plus en plus convaincue que ceux mêmes qui veulent injurier Roudine ne trouvent rien de déshonorant à dire sur son compte.