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— À propos de la fin du procès. Les prés de Glinowa vous restent.

— Ils me restent ! répondit Pigassoff d’un air sombre.

— Voilà des années que vous courez après ce but et maintenant on dirait que vous n’êtes pas satisfait.

— J’ai l’honneur de vous faire observer, répliqua lentement Pigassoff, que rien n’est plus désagréable en ce bas monde qu’un bonheur qui vous arrive tard. Un pareil bonheur, loin de vous causer du plaisir, vous prive seulement du plus précieux de tous les droits : celui de se fâcher et de maudire le sort. Oui, madame, je le répète, un bonheur tardif n’est qu’une plaisanterie offensante et amère !

Alexandra, sans lui répondre, haussa imperceptiblement les épaules.

— Nourrice, cria-t-elle, il me semble qu’il est temps de coucher Micha. Apporte-le moi.

Alexandra s’occupa de son fils et Pigassoff se retira en grommelant à l’autre extrémité du balcon.

Tout à coup, le drochki de Michaël Michaëlowitch apparut au bout de la route qui longeait le jardin. Deux énormes chiens de basse-cour, l’un gris, l’autre jaune, couraient au-devant du cheval. Lejnieff venait d’acheter ces deux chiens qui avaient résolu le problème de vivre dans une inaltérable amitié, tout en se déchirant à coups de dents du matin au soir. Une vieille chienne de garde quitta aussitôt la cour pour aller à leur rencontre ; elle ouvrit la gueule comme si elle se disposait à aboyer, mais elle se contenta