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cette conviction ne soulageait pas son cœur. Elle restait sans mouvement ; il lui semblait que des vagues sombres s’étaient rejointes sans bruit sur sa tête et qu’elle disparaissait, froide et engourdie, au fond d’un abîme. Pour tout le monde, la première désillusion est lourde à supporter mais elle devient presque écrasante pour une âme sincère, exempte de toute légèreté, de toute exagération, et peu désireuse de se tromper elle-même.

Natalie se rappelait son enfance et songeait à ses anciennes promenades du soir. Elle se dirigeait toujours de préférence vers la partie lumineuse du ciel, là où le couchant étincelait encore à l’horizon, et elle détournait instinctivement ses regards du levant déjà ténébreux. À l’heure présente, au contraire, l’avenir s’assombrissait devant elle ; il lui semblait qu’elle avait tourné le dos à la lumière… Les yeux de Natalie se remplissaient de pleurs. Les larmes n’ont pas toujours une action bienfaisante. Elles sont douces et salutaires lorsqu’après s’être longtemps amassées dans le cœur elles s’en échappent enfin, d’abord brûlantes et amères, puis abondantes et faciles. C’est ainsi qu’elles soulagent le muet accablement de la douleur… Mais il y a des larmes froides, des larmes répandues une à une. C’est la souffrance sans issue qui les arrache goutte à goutte de l’âme oppressée par son pesant et persistant fardeau. Celles-ci n’apportent point de consolation, elles ne procurent pas de bien-être. Ce sont les larmes que verse le désespoir,