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sorte que toutes les phases de la vie s’accomplissent à leur moment. « Heureux celui qui est jeune au temps de sa jeunesse !… » Mais je m’aperçois que ces conseils s’adressent bien plus à moi qu’à vous… Je vous avouerai, Natalie, que j’ai le cœur bien serré. Je ne me suis jamais mépris sur la nature du sentiment que j’inspire à Daria Michaëlowna ; mais, du moins, j’avais espéré trouver chez elle un refuge momentané ; maintenant je m’en vais de nouveau errer au hasard à travers le monde. Qu’est-ce qui remplacera pour moi votre douce voix, votre présence, votre regard attentif et intelligent ? La faute en est à moi ; mais convenez aussi que le sort a semblé se jouer à dessein de nous. Il n’y a de cela qu’une semaine, je soupçonnais à peine que je vous aimais. L’autre jour, le soir dans le jardin, vous m’avez dit pour la première fois… Mais à quoi bon rappeler ce que vous m’avez dit alors ? L’autre jour ! et je pars déjà… je pars honteux, humilié, après une cruelle explication, sans emporter le plus faible espoir… Vous ne savez pas encore pourtant à quel point je suis coupable vis-à-vis de vous… Il y a en moi une si sotte franchise, un tel penchant au bavardage… Mais pourquoi revenir là-dessus ? Je pars pour toujours. »

(Roudine voulut ici raconter sa visite à Volinzoff ; mais, après un instant de réflexion, il biffa tout ce passage. C’est alors qu’il ajouta le second post-scriptum à la lettre de Volinzoff.)