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croyais vous connaître et je ne vous connaissais pas. Dans le cours de mon existence, je me suis trouvé dans l’intimité de bien des femmes et de bien des jeunes filles, mais c’est en vous que j’ai trouvé, pour la première fois, une âme complètement honnête et droite. Je n’ai pas connu des âmes comme la vôtre et je n’ai pas su vous apprécier. Dès le premier jour de notre connaissance je me suis senti attiré vers vous ; vous avez pu vous en apercevoir. J’ai passé bien des heures avec vous et je n’ai pas appris à vous connaître, et pourtant j’ai pu m’imaginer que je vous aimais ! C’est à présent que je porte la peine de ma faute et de mon ignorance.

« Il m’est arrivé autrefois d’aimer une femme et d’être payé de retour… Mon sentiment pour elle était complexe comme l’était le sien pour moi. Pouvait-il en être autrement, puisqu’elle-même n’était pas une nature simple ? La vérité alors ne s’était pas encore manifestée à moi, et le jour où elle s’est présentée devant mes yeux je n’ai pas su la reconnaître… Je la reconnais enfin, mais trop tard… Le passé ne se recommence pas… Nos existences auraient pu se confondre – et elles sont séparées maintenant pour toujours. Comment vous persuader que j’aurais pu vous aimer d’un amour véritable – d’un amour de cœur et non d’imagination – quand je ne sais pas moi-même si je suis capable d’un pareil amour ?

« La nature m’a beaucoup accordé – je le sais et ne veux pas qu’une fausse honte m’entraîne à faire