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Elle rentra heureusement dans sa chambre ; mais à peine en eut-elle franchi le seuil que ses forces l’abandonnèrent et qu’elle tomba évanouie dans les bras de Macha.

Roudine resta encore longtemps sur la digue. Tout à coup il secoua sa torpeur. Il reprit à pas lents le sentier qu’il avait suivi une heure auparavant. Il était fort honteux… et chagrin.

« Quelle jeune fille est-ce là ? pensait-il… À dix-huit ans !… Non, je ne la connaissais pas, en effet… C’est une personne remarquable. Quelle force de volonté !… Elle a raison, elle est digne d’un amour autre que celui que je ressentais pour elle… L’ai-je jamais aimée ? se demanda-t-il. Est-ce possible que je ne l’aime plus ? Voilà donc comment tout cela devait finir ! Que je suis nul, que je me fais pitié en comparaison d’elle ! »

Le roulement léger d’un drochki de course força Roudine à lever la tête. C’était Lejnieff qui venait du côté opposé avec son éternel trotteur. Roudine le salua en silence ; puis, comme frappé d’une idée subite, il changea de route et prit rapidement le chemin de la maison de Daria.

Lejnieff l’avait laissé passer en le suivant du regard ; mais, après un instant de réflexion, il avait tourné son cheval et s’était rendu chez Volinzoff.

Il trouva son ami endormi, défendit au domestique de le réveiller et alla s’installer sur le balcon pour y fumer un cigare en attendant le déjeuner.