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— Vous avez bien souvent parlé de sacrifice, d’abnégation, interrompit-elle ; mais savez-vous que si vous m’aviez dit aujourd’hui, tout à l’heure : « Je t’aime, mais je ne puis me marier ; je ne réponds pas de l’avenir, donne-moi ta main et suis-moi », savez-vous que je vous aurais suivi, que j’étais décidée à tout ! Mais la distance est plus grande que je ne croyais de la parole à l’action, et vous avez peur maintenant, comme vous avez eu peur de Volinzoff l’autre jour pendant le dîner.

La rougeur monta au front de Roudine. L’exaltation inattendue de Natalie l’avait frappé, mais ses dernières paroles blessaient au vif son amour-propre.

— Vous êtes trop agitée en ce moment, Natalie ; vous ne pouvez comprendre à quel point vous m’avez cruellement offensé. J’espère que vous me rendrez justice… un jour ; vous comprendrez alors combien il m’en aura coûté de renoncer à un bonheur qui, selon votre propre aveu, ne m’imposait aucune obligation. Votre tranquillité m’est plus précieuse que tout au monde, je serais un grand misérable si je me décidais à profiter…

— Peut-être, murmura Natalie, peut-être avez-vous raison, je ne sais plus ce que je dis… mais jusqu’à ce moment j’avais cru en vous, j’avais eu foi dans chacune de vos paroles… Dorénavant, pesez-les mieux, de grâce, ne les jetez plus ainsi au vent. Lorsque je vous ai dit que je vous aimais, je savais à quoi ce mot m’engageait ; j’étais prête à tout… Il ne me