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Roudine vint à sa rencontre et s’arrêta tout surpris. Il ne lui avait jamais vu une expression pareille. Ses sourcils s’étaient rapprochés, ses lèvres se serraient, ses yeux avaient un regard fixe et presque dur.

— Dimitri Nicolaïtch, commença-t-elle, nous n’avons pas de temps à perdre. Les minutes sont comptées ; ma mère sait tout. M. Pandalewski nous a épiés l’autre jour et lui a parlé de notre entrevue. Il a toujours été l’espion de maman. Elle m’a appelée hier chez elle.

— Mon Dieu ! s’écria Roudine, c’est affreux ! Qu’a-t-elle dit ?

— Elle ne s’est pas fâchée ; elle ne m’a pas grondée, elle m’a seulement reproché ma légèreté.

— Seulement ?

— Oui, mais elle m’a déclaré qu’elle aimerait mieux me savoir morte que votre femme.

— Elle a dit cela ! Est-ce possible ?

— Oui, et elle a encore ajouté que vous-même ne désiriez nullement m’épouser, que vous ne m’aviez fait la cour que par désœuvrement et qu’elle ne se serait pas attendue à cet abus de confiance de votre part ; que, du reste, elle avait, elle aussi, plus d’un reproche à s’adresser. « Pourquoi, a-t-elle dit, lui ai-je permis de te voir aussi souvent ? » Et elle a ajouté qu’elle avait compté sur ma raison, et que ma conduite irréfléchie l’avait fort étonnée… Je ne me rappelle déjà plus tout ce qu’elle m’a dit.