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à parler d’un de ses voisins, et divertit beaucoup Daria en lui racontant que ce voisin s’était tellement efféminé en vivant trente ans sous les cotillons de sa femme, qu’un jour, au moment de traverser une mare, lui, Pigassoff, l’avait vu porter sa main par derrière et retrousser les pans de son habit, comme les femmes retroussent leurs jupes. Après cela, il tomba sur un autre propriétaire qui avait été d’abord franc-maçon, puis misanthrope, et qui voulait maintenant se faire banquier.

Mais c’est lorsque Pigassoff se mit à disserter sur l’amour que l’hilarité de Daria Michaëlowna fut excitée au plus haut point. Il assura qu’on avait aussi soupiré pour lui, et qu’une Allemande à passions ardentes l’avait appelé son petit Africain appétissant et langoureux. Daria Michaëlowna se mit à rire. Pigassoff pourtant ne mentait pas, il avait réellement le droit de se vanter de ses succès. Il affirma que rien n’était plus facile que de se faire aimer de la première femme venue ; on n’avait qu’à lui répéter pendant dix jours de suite que le paradis était sur ses lèvres et la béatitude dans ses yeux, et qu’auprès d’elle toutes les autres femmes n’étaient que de vrais laiderons, pour qu’elle se dît elle-même, le onzième jour, que le paradis était sur ses lèvres et la béatitude dans ses yeux, et qu’elle s’éprît de celui qui avait découvert en elle tant de jolies choses. Tout arrive en ce monde ; Pigassoff avait peut-être raison. Qui le sait ?

Roudine était dans le bosquet à neuf heures et