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jour-là chez Daria Michaëlowna et qu’il parlait plus que tous les autres. Il se mit à démontrer, entre autres choses, qu’on pouvait partager les hommes en deux catégories comme les chiens : les hommes à oreilles courtes et les hommes à oreilles longues. Les hommes ont les oreilles courtes, disait-il, soit de naissance, soit par leur propre faute. Dans les deux cas, ils sont à plaindre, car rien ne leur réussit. — Ils n’ont pas confiance en eux-mêmes. Mais celui qui possède des oreilles longues et bien fournies est un homme heureux. Il peut être plus mauvais ou plus faible qu’un homme à oreilles courtes, mais il a confiance en lui-même. — Il dresse les oreilles, — tous l’admirent. Moi, continua-t-il avec un soupir, j’appartiens à la catégorie des oreilles courtes, et, ce qu’il y a de plus irritant, c’est que je me les suis coupées moi-même.

— Ceci, interrompit négligemment Roudine, revient à dire une chose qui, du reste, a été dite en moins de mots par La Rochefoucauld longtemps avant vous : — « Aie confiance en toi-même, et les autres croiront en toi ». Je ne comprends pas la nécessité de faire intervenir les oreilles dans tout cela.

— Permettez à chacun, riposta Volinzoff d’un ton incisif et les yeux injectés de sang, permettez à chacun de s’exprimer comme il l’entend. On discute sur le despotisme… Rien n’est plus odieux, selon moi, que le despotisme des soi-disant gens d’esprit. Que le diable les emporte !

Cette sortie de Volinzoff étonna tout le monde ; per-