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le dos appuyé contre un arbre. Arrivé depuis un quart d’heure chez Daria Michaëlowna, il l’avait trouvée au salon, lui avait dit deux mots, puis s’était esquivé sans qu’elle s’en aperçût et s’était mis à la recherche de Natalie. Avec l’instinct particulier aux amoureux, il était allé droit au jardin où il avait aperçu Roudine et Natalie au moment même où celle-ci lui retirait sa main. Volinzoff fut pris d’un vertige. Suivant Natalie du regard, il quitta son arbre et fit quelques pas, sans savoir où il allait, ni ce qu’il voulait. Roudine l’avait vu et s’était approché de lui. Ils se regardèrent fixement, se saluèrent et se séparèrent en silence. « Cela ne peut se terminer ainsi », avaient-ils pensé tous les deux.

Volinzoff s’enfonça dans les profondeurs du jardin. Il était à la fois désespéré et morne. Il y avait comme du plomb sur son cœur, et puis tout à coup une violente colère faisait bouillonner le sang dans ses veines. La pluie recommençait à tomber. Roudine était retourné dans sa chambre. Il n’était pas tranquille non plus : ses pensées s’agitaient comme dans un tourbillon. Quel homme ne serait pas troublé, en effet, par le contact inattendu et confiant d’une jeune âme honnête ?

Les choses allèrent assez mal pendant le dîner : Natalie était très-pâle ; elle se tenait à peine sur sa chaise et ne levait pas les yeux. Volinzoff était assis à côté d’elle, comme d’habitude, et s’efforçait par moments de causer. Il se trouva que Pigassoff dînait ce