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Les joues de Natalie s’étaient légèrement empourprées, ses yeux brillaient. Avant d’avoir fait la connaissance de Roudine, elle n’aurait jamais pu prononcer un aussi long discours ni parler avec tant de feu.

— Vous avez plus d’une fois entendu mon avis sur le rôle des femmes, répliqua Roudine avec un sourire indulgent. — Vous savez que, selon moi, Jeanne d’Arc seule pouvait sauver la France… Mais il ne s’agit pas de cela. Vous vous trouvez sur le seuil de la vie… Il est doux de raisonner sur votre avenir, et ce ne sera peut-être pas sans fruit. Écoutez-moi, je suis votre ami, vous le savez ; je vous porte un intérêt plus vif que si j’étais simplement votre parent… C’est pourquoi j’espère que vous ne jugerez pas ma question indiscrète. Dites-le moi, votre cœur a-t-il toujours été complètement calme ?

Natalie rougit jusqu’au blanc des yeux et ne répondit pas. Roudine s’arrêta, et elle en fit autant.

— Est-ce que vous vous fâchez contre moi ? lui demanda-t-il.

— Non, mais je ne m’attendais pas du tout…

— D’ailleurs, continua Roudine, vous pouvez ne pas répondre. Je connais votre secret.

Natalie le regarda d’un air presque épouvanté.

— Oui… oui, je sais celui qui vous plaît — et, je dois le dire — vous ne pouviez faire un meilleur choix. C’est un homme excellent ; il saura vous apprécier ; il n’a pas été trahi par la vie… c’est une âme simple et sereine… Il fera votre bonheur.