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— Oui, je me la rappelle. Mais pourquoi cette question ?

Natalie lui jeta un regard à la dérobée.

— Pourquoi avez-vous… Que vouliez-vous dire par cette comparaison ?

Roudine baissa la tête et laissa errer ses regards au loin.

— Natalie Alexéiewna, commença-t-il avec cette expression contenue et significative qui lui était habituelle et qui faisait toujours croire à son auditeur qu’il ne livrait que la dixième partie de ce qui oppressait son âme, — Natalie Alexéiewna, vous avez remarqué que je parle fort peu de mon passé. Il y a certaines cordes que je n’aime point à faire vibrer. Mon cœur… qui donc a besoin de savoir ce qui s’y passe ? L’exposer à des regards indifférents m’a toujours semblé un sacrilège. Mais avec vous je suis sincère, vous avez éveillé ma confiance… Je ne veux pas vous cacher que j’ai aimé et souffert comme tout le monde… Quand et comment ? Peu importe ! mais mon cœur a éprouvé de grandes joies et de grandes douleurs.

Roudine s’arrêta un instant.

— Ce que je vous ai dit hier, continua-t-il, peut, dans ma situation actuelle, se rapporter à moi jusqu’à un certain point. Mais, encore une fois, ce n’est pas la peine d’en parler. Ce côté de la vie a déjà disparu pour moi. Il ne me reste plus à présent qu’à me traîner, de relais en relais, sur des chemins déserts et