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croyez-moi, j’en ai le droit. Il serait même possible que j’eusse acheté ce droit un peu cher. Je connais bien l’homme en question. J’ai longtemps habité avec lui. Vous vous rappelez que je vous ai promis de vous donner un jour des détails sur notre vie commune à Moscou. Voici le moment de m’exécuter : mais aurez-vous la patience de m’écouter jusqu’au bout ?

— Parlez, parlez. J’y consens volontiers.

Lejnieff s’était mis à marcher à pas comptés dans la chambre ; il s’arrêtait de temps en temps et baissait la tête.

— Vous savez peut-être, dit-il, que je suis resté orphelin de bonne heure, et qu’à seize ans je ne reconnaissais d’autre autorité que la mienne. Je demeurais alors à Moscou chez une de mes tantes, et je suivais tous mes caprices. J’étais un garçon passablement futile et vaniteux ; j’aimais à produire de l’effet. Une fois entré à l’université, je me conduisis en véritable écolier et me trouvai bientôt mêlé à une aventure assez désagréable. Je ne vous la raconterai pas, elle n’en vaut pas la peine. Il suffit que vous sachiez que j’en vins à mentir, mais à mentir d’une façon assez peu honorable… Toute l’histoire finit par transpirer au dehors, et je fus couvert de honte… Je perdis la tête et pleurai comme un enfant que j’étais, en réalité. Ce petit épisode de ma vie de jeune homme s’était passé dans le logement d’une de mes connaissances et devant un grand nombre de mes camarades. Ils se moquèrent de moi tous, à l’exception d’un seul qui, re-