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lof. Notre voiture roula dans la cour à travers la porte cochère toute grande ouverte. Le postillon des deux chevaux attelés en avant des quatre autres, enfant de cinq ou six ans dont les pieds dépassaient à peine le bord de la selle, poussa pour la dernière fois son cri de Gare ! Les deux coudes de notre cocher patriarcal s’élevèrent ensemble pour retenir les rênes, et nous nous arrêtâmes. Aucun chien ne nous salua de ses aboiements ; les nombreux enfants des domestiques que l’on voit grouiller dans les cours, avec leurs chemises ouvertes sur le ventre et la croix de bois au cou, avaient disparu. Le gendre de Kharlof nous attendait sur le seuil. On avait planté des jeunes bouleaux sur les deux côtés du perron, comme il est d’usage le jour de la Trinité. Tout semblait solennel. Le gendre de Kharlof portait une grande cravate en velours de coton avec un nœud en satin, et un habit noir horriblement étroit. Le petit cosaque Maximka avait mis tant de kvass en guise de pommade, que les gouttes ruisselaient de ses cheveux. Nous entrâmes au salon, et Kharlof s’offrit à nos regards, immobile au beau milieu de la chambre. Il avait endossé son casaquin de milicien de 1812, en drap gris avec un collet en drap noir. Une médaille de bronze s’étalait sur sa poitrine ; un sabre était accroché à son flanc. Sa main gauche portait sur le pommeau du sabre, tandis que sa droite reposait sur une table couverte d’un tapis rouge, appuyée sur une liasse de papiers.

Kharlof ne bougeait pas, ne semblait même pas