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— Es-tu donc tellement sûr de tes filles et de ton gendre ?

— C’est de Volodka que vous daignez parler ainsi, de cette guenille-là ? Mais je le ferai marcher comme je voudrai. Quel pouvoir a-t-il ? Et quant à elles, à mes filles, elles doivent jusqu’à ma mort me nourrir, m’abreuver, m’habiller, me chausser… N’est-ce pas leur devoir, et le plus sacré ? Du reste, elles n’useront pas longtemps leurs yeux à me regarder. Elle est là, la mort…, derrière mes épaules.

— Dieu envoie la mort quand il lui plaît, reprit ma mère ; et quant à tes filles, c’est en effet leur devoir ; seulement, Martin Petrovitch, excuse-moi : ton aînée est une orgueilleuse, chacun le sait ; et ta seconde aussi a un regard de loup.

— Natalia Nicolavna ! s’écria Kharlof, que dites-vous là, bon Dieu ? Quoi ! qu’elles…, que mes filles…, que moi… manquent à l’obéissance !… Pas même en rêve… Comment ? résister… à qui ? à un père… ? et la malédiction, se ferait-elle attendre ?… Elles ont passé toute leur vie dans le frémissement de la soumission…, et tout à coup… ah ! grand Dieu ! »

Une toux suffocante saisit Kharlof ; ma mère s’empressa de le calmer.

« Seulement je n’ai pu comprendre, ajouta-t-elle, pourquoi ce partage immédiat. Après toi, ce serait toujours elles qui auraient tout reçu. Je suppose que c’est ta mélancolie qui est cause de tout cela.

— Eh ! ma petite mère, répartit Kharlof, non