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— Que diable dis-tu là, mon père ? Est-ce que quelqu’un de nous est immortel ? Toi-même, tout géant que tu es, tu auras une fin.

— Oh ! oui, j’aurai une fin, s’écria Kharlof en baissant la tête. Je viens d’avoir une hallucination nocturne, fit-il d’une voix sourde et lente.

— Comment ?

— Une hallucination nocturne, répéta Kharlof. Je suis un grand voyeur de songes.

— Toi ?

— Moi. Vous ne le saviez point ? »

Kharlof poussa un soupir.

« Écoutez. Il y a de cela un peu plus d’une semaine ; c’était précisément l’avant de Saint-Pierre. Je me couchai pour me reposer un peu, et je m’endormis. Tout à coup, je vois entrer dans ma chambre un poulain noir. Ce poulain se mit à jouer et à me montrer les dents. Un poulain noir comme un tarakane[1]. »

Kharlof se tut.

« Eh bien ? demanda ma mère.

— Et voilà que ce même poulain se retourne et me lance une ruade dans le coude gauche, là, à l’endroit sensible. Je me réveille ; mon bras gauche ne fonctionne plus… et ma jambe gauche pas davantage. « Bon, me dis-je, c’est une paralysie. » Pourtant, petit à petit, le mouvement me revint ; mais des

  1. Espèce de scarabée, ou blatte noire.