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que chose. Et Maximka, qui, par un étrange hasard, savait épeler les syllabes, se mettait à lire à tue-tête, en hachant les mots et mettant les accents tout de travers, des phrases dans le genre de celle-ci : « Mais l’homme passionné déduit de cet endroit vide qu’il découvre dans les animaux des conséquences complétement contradictoires. Chaque animal pris isolément, dit cet homme passionné, est incapable de faire mon bonheur. » Ou bien il entonnait d’une voix de fausset très-aiguë quelque chansonnette lugubre, où l’on ne pouvait distinguer que des i, i… oh… ah…, et puis : douleur ! Kharlof écoutait, secouait la tête, discourait sur la fragilité des choses humaines, annonçait que tout se réduirait en poussière comme l’herbe des champs ! Dans sa chambre, il avait accroché une gravure où se voyait une chandelle entourée de gros êtres joufflus qui soufflaient dessus de toutes leurs forces, avec cette légende : « Telle est la vie humaine. » Quand l’heure de la mélancolie était passée, il la retournait contre le mur. Kharlof, ce colosse, craignait la mort. Du reste, même au plus fort de ses accès de bile noire, il ne priait guère. Kharlof, il faut le dire, était peu dévot ; il allait rarement à l’église. À la vérité, il prétendait que les dimensions de son corps ne lui permettaient pas d’y aller, qu’il y occupait la place de trop de fidèles. L’accès se terminait d’habitude de la façon suivante. Kharlof commençait à siffloter, puis il ordonnait d’une voix de tonnerre qu’on fît venir son équipage, et quelques instants plus tard