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était en visite chez ma mère, s’avisa de persifler Kharlof. Celui-ci avait encore parlé du Chédois Kharlus qui était venu en Russie…

« Au temps du tzar Haricot ? interrompit le visiteur.

— Non, pas à cette époque, mais sous le règne du grand-duc Vassili Vassilitch l’Aveugle.

— Quant à moi, reprit l’autre, je crois votre race encore beaucoup plus ancienne. Elle remonte aux temps antédiluviens, quand la terre portait encore des mastodontes et des mégalothérions. »

Quoique ces termes scientifiques fussent parfaitement inconnus de Kharlof, il comprit qu’on se moquait de lui.

« C’est possible, dit-il d’un ton bref ; notre race est très-ancienne. On dit qu’à l’époque où mon aïeul vint s’établir à Moscou, il y vivait un imbécile du genre de Votre Excellence, et de tels imbéciles ne viennent au monde qu’une fois tous les mille ans. »

Le visiteur se leva furieux. Kharlof jeta la tête en arrière, avança le menton, poussa un hum ! de défi, et s’éloigna fièrement.

Deux jours après, il revint à la maison. Ma mère lui adressa des reproches.

« C’est une leçon que j’ai voulu lui donner, madame, interrompit Kharlof. Une autre fois, il y prendra garde. Il est encore trop jeune, il faut le faire marcher droit. »

Or, le visiteur n’était pas moins âgé que Kharlof ; mais ce géant semblait considérer tous les hommes comme des mineurs. D’ailleurs, il ne craignait ab-