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« Notre race, répétait-il souvent, vient du Chédois (il voulait dire Suédois) Kharlus, arrivé en Russie sous le règne d’Ivan Vassilitch l’Aveugle. Ce Chédois Kharlus n’a pas daigné être un comte païen, il a voulu devenir un gentilhomme russe, et s’est fait inscrire dans le livre d’or. Voilà d’où nous descendons, nous autres, les Kharlof. Et par cette même raison, nous naissons tous blonds de chevelure, clairs d’yeux et blancs de visage, car nous avons poussé sous la neige.

— Mais, Martin Pétrovitch, m’enhardis-je un jour à lui dire, il n’y a jamais eu d’Ivan Vassilitch l’Aveugle. Il y a eu un Ivan Vassilitch le Terrible, mais c’est le grand-duc Vassili Vassilitch qu’on avait surnommé l’Aveugle.

— Radote, radote, répondit tranquillement Kharlof ; quand je dis une chose, c’est ainsi. »

Un jour ma mère se mit à le louer en sa présence pour son désintéressement, qui était en effet des plus remarquables.

« Eh ! Natalia Nicolavna, s’écria-t-il presque avec dépit, voilà un beau sujet de louanges ! Nous autres grands seigneurs, pouvons-nous agir autrement ? Il ne faut pas qu’aucun homme de la glèbe, aucun vilain, aucun manant, ose seulement supposer de nous quelque chose de vil et de déshonorant. Je suis un Kharlof, ma famille descend de là (et il élevait son doigt au plafond aussi haut que possible) ; comment pourrais-je écouter mon intérêt ? »

Une autre fois, un personnage important, qui