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entendre un long gémissement qui semblait venir du fond de l’âme. Tous les deux sortirent en suivant l’hôtesse.

Je demeurai quelque temps encore sur mon dur canapé à réfléchir sur ce que je venais de voir. Mon magnétiseur avait fini par devenir un « innocent. » Voilà où l’avait conduit ce pouvoir qu’il était impossible de méconnaître en lui.

Le matin, je voulus me mettre en route ; la pluie n’avait pas cessé, mais je ne pouvais m’arrêter plus longtemps. Sur le visage de mon domestique, qui m’apportait de quoi me faire la barbe, je remarquai une sorte de sourire sardonique contenu, dont je savais bien la cause. À coup sûr, il venait d’apprendre quelque chose d’extraordinaire et qui n’était pas à la gloire des maîtres. Évidemment il était impatient de m’en faire part.

« Eh bien ! lui dis-je enfin, qu’y a-t-il ?

— Monsieur a vu l’innocent d’hier ?…

— Oui, eh bien ?

— Et sa compagne, monsieur l’a vue aussi ?

— Oui.

— C’est une dame… de la noblesse.

— Allons donc !

— Comme j’ai l’honneur de vous le dire. Des marchands de T… ont passé par ici et l’ont reconnue. Ils ont nommé sa famille ; seulement j’ai oublié comment ils l’appellent. »

Il me sembla qu’un éclair passait devant mes yeux.