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bénisse ! Dieu bénisse ! Amen ! amen ! Arrière, Satan ! »

La voix traînait la dernière syllabe de chaque mot d’une façon presque sauvage ; puis j’entendis un profond soupir et comme un corps très-pesant qui tombait sur un banc en faisant résonner la chaîne.

« Akoulina ! servante de Dieu, viens-t’en, reprit la voix. Regarde : misère et bénédiction ! Ha, ha, ha ! Pouah ! Seigneur mon Dieu, Seigneur mon Dieu, Seigneur mon Dieu ! (On eût dit un diacre au chœur.) Seigneur Dieu, souverain de mon cœur ! pardonne à mes méfaits. Oh ! oh ! oh ! Pouah ! Fi ! et bénis cette maison à la septième heure ! »

« Qu’est-ce que cela ? demandai-je à l’hôtesse, qui m’apportait le samovar.

— Ah ! mon Dieu, répondit-elle en chuchotant avec empressement, c’est un saint homme de Dieu. Il n’y a pas longtemps qu’il est venu dans notre pays ; il a bien voulu visiter ma maison, et par un temps comme celui-ci ! Il ruisselle, mon bon monsieur, c’est comme une rivière…, et les chaînes qu’il porte…, c’est une pitié ! »

« Bénis Dieu, bénis Dieu, recommença la voix. Akoulina, Akoulina-Akoulinouchka, mon amie ! où est notre paradis… notre doux paradis… ? Que cette demeure, pour étrenne de ce siècle, reçoive la paix !… Oh ! oh ! oh ! »

La voix murmura quelques mots incompréhensibles, et tout d’un coup, après un bâillement prolongé, j’entendis comme un rire enroué. Ce rire