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nos voisins de la mazurka : ils m’observaient, et il me sembla que mon étonnement les amusait. Un d’eux me souriait d’un air sympathique, et semblait me dire : « Eh bien ! n’avons-nous pas notre demoiselle phénomène ? Nous la connaissons, allez. »

« Et vous, mademoiselle, repris-je, avez-vous essayé de briser votre volonté ?

— Chacun est tenu de faire ce qui lui paraît la vérité, répondit-elle d’un ton un peu dogmatique.

— Permettez-moi de vous demander, repris-je après un moment de silence, si vous croyez possible d’évoquer les morts ? »

Sophie secoua doucement la tête.

« Il n’y a pas de morts !

— Comment, il n’y en a pas ?

— Il n’y a pas d’âmes mortes. Elles sont immortelles et peuvent toujours paraître, si elles veulent. Elles sont sans cesse autour de nous.

— Comment ? Supposez-vous, par exemple, qu’à côté de ce major de garnison au nez rouge il peut se trouver une âme immortelle ?

— Pourquoi pas ? La lumière du soleil éclaire bien son nez, et la lumière du soleil, de même que toute lumière, vient de Dieu. Et que signifient les apparences ? Pour celui qui est pur, il n’y a rien d’impur. Seulement il faut trouver un maître, trouver un guide.

— Permettez, permettez, dis-je, non sans un peu de méchanceté ; vous voulez un guide… Votre confesseur, à quoi vous sert-il donc ? »