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semblait que toutes mes paroles rejaillissaient loin d’elle comme si elles fussent tombées sur une statue de marbre. Elle les comprenait, mais il était évident qu’elle avait ses idées à elle, bien arrêtées et inébranlables.

« Vous n’admettez pourtant pas les miracles ? m’écriai-je à la fin.

Assurément je les admets, répondit-elle tranquillement. Comment ne pas admettre les miracles ? Est-ce que l’Évangile ne nous dit pas qu’avec de la foi autant qu’un grain de sénevé, on peut remuer les montagnes ? Qu’on ait de la foi, et on fera des miracles.

— Il faut qu’il y ait peu de foi dans ce temps-ci, répondis-je, car on n’entend pas parler de miracles.

— Il y en a pourtant ; vous même en avez vu. Non, la foi n’a pas disparu aujourd’hui, mais le commencement de la foi…

— Le commencement de la sagesse, interrompis-je, c’est la crainte de Dieu.

— Le commencement de la foi, continua-t-elle sans se troubler, c’est l’abnégation, l’humilité.

— L’humilité aussi ? lui demandai-je.

— Oui, l’humilité ! L’orgueil, l’arrogance, la présomption, voilà ce qu’il faut détruire, ce qu’il faut déraciner. Vous parliez tout à l’heure de la volonté…, il faut aussi qu’elle soit brisée. »

J’enveloppais de mon regard toute la figure de cette jeune fille qui prêchait ainsi. « La petite ne badine pas », me disais-je à mol-même. Je regardai