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L’Abandonnée.

tendis la main, mais de haut en bas. La pitié sans orgueil n’appartient qu’à la femme.

Fustow me considérait toujours d’un air apathique et stupide. Évidemment je n’exerçais pas une grande influence sur lui, et comme je répétais ma question : « Tu iras pourtant bien chez eux ? » il répondit : « Non ; je n’irai pas.

— Est-ce possible ? Tu ne veux donc pas apprendre par toi-même comment cela s’est passé ? Elle a peut-être laissé une lettre… un document important… et tu resterais à l’écart ? »

Il secoua la tête.

« Je ne peux pas y aller, dit-il sourdement. Aussi suis-je venu chez toi pour te prier de me remplacer… moi, c’est impossible… impossible… »

Il s’assit rapidement devant le guéridon, couvrit son visage avec ses mains, et se mit à verser des larmes amères.

« Ah ! l’infortunée ! répétait-il sans cesse au milieu des sanglots… l’infortunée… comme je l’aimais…. comme je l’adorais… ah ! ah ! »

J’étais près de lui, mais je dois avouer que ces pleurs, sincères à coup sûr, ne m’inspiraient pas la moindre sympathie. Je restai seulement étonné de voir que Fustow pût pleurer ainsi, et je crus comprendre alors quel pauvre sire c’était là. — Je m’imaginais que j’eusse agi tout autrement à sa place. Explique la chose qui pourra : si Fustow avait gardé son calme, il m’aurait peut-être paru odieux, il m’aurait peut-être fait horreur ; mais il ne serait pas descendu