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L’Abandonnée.

XXII

Je m’habillai en un clin d’œil.

« Quelle est ton idée ? Que comptes-tu faire, Alexandre ? » demandai-je.

Il me regarda d’un air surpris. Ma question semblait l’étonner. Et en effet, que pouvait-on faire ?

« Tu ne vas pourtant pas te dispenser d’y aller ? repris-Je. Ton devoir est de t’enquérir, d’apprendre comment la chose est arrivée. Il s’agit d’un crime, peut-être ! Ces gens sont capables de tout !… Il faut tirer cela au clair ! Songe donc à ce passage du manuscrit : la pension s’éteint le jour du mariage, mais en cas de mort, elle fait retour à Ratsch. D’ailleurs, tu dois rendre à la morte les derniers témoignages de respect, lui dire adieu ! »

Je parlais à Fustow avec l’accent d’un mentor, d’un frère aîné. Dans mon effroi, dans ma douleur, malgré ma stupéfaction, un involontaire sentiment de supériorité s’était tout à coup éveillé en moi… Était-ce parce que je le voyais là, moralement anéanti, parce que sa faute l’écrasait ? était-ce parce que le malheur qui frappe un homme par sa faute l’abaisse jusqu’à un certain point aux yeux d’autrui, parce que cela fait qu’on se dit : « Il n’est pas fort celui-là, il n’a pas su y échapper ? » Quoi qu’il en fût, Fustow me fit l’effet d’un enfant. J’eus pitié de lui, et, en même temps, je jugeai utile de me montrer sévère. Je lui