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L’Abandonnée.

très-mûre, que nous appelions entre nous « Amichka », parce qu’elle offrait quelque ressemblance avec un petit caniche. Le lendemain s’écoula pour moi dans une attente pénible ; je me demandais : « Fustow reviendra-t-il ? m’écrira-t-il ? aurai-je des nouvelles de la famille Ratsch ?… À vrai dire, de ce côté-ci, je ne devais rien espérer ; c’eût été plutôt à Susanne de compter sur ma visite. Mais décidément je n’osais pas lui parler avant d’avoir vu Fustow. Je récapitulai tous les termes dont je m’étais servi en écrivant à ce dernier… Ils étaient, certes, assez pressants… Enfin, tard dans la soirée, mon ami parut.

XIX

Il entra chez moi comme à l’ordinaire, d’un pas rapide, mais sans se hâter. Il était pâle ; sa figure, où on lisait la fatigue du voyage, exprimait en outre la curiosité, l’anxiété, le dépit, sentiments qui ne lui étaient pas habituels. Je me précipitai au-devant de lui, je l’embrassai, je le remerciai cordialement d’être venu ; puis, après avoir exposé en peu de mots mon entretien avec Susanne, je lui donnai le manuscrit.

Il s’avança vers la fenêtre, vers cette fenêtre que Susanne, deux jours auparavant, avait prise pour soutien, et se mit à lire, sans avoir proféré une seule parole. Je me retirai dans l’angle opposé de la chambre. Par contenance, je tenais un livre à la