Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/287

Cette page a été validée par deux contributeurs.
271
L’Abandonnée.

dans les oreilles… Même scène ou presque même scène le lendemain au soir. La conduite de Siméon Matveitch envers moi changea subitement ; il me battit froid et je tombai en disgrâce.

Quatre jours après, je rencontrai Michel dans le corridor qui traversait la maison. Il me prit par la main et me conduisit dans une chambre contiguë à la salle à manger ; on appelait cette pièce la chambre aux portraits.

Je le suivis, non sans agitation, mais avec une pleine confiance. Je crois que dès cet instant, bien que je ne me rendisse pas encore compte de ce qu’il était pour moi, je l’aurais suivi jusqu’au bout du monde. Je m’étais attachée à lui avec toute la passion, avec tout le désespoir d’une créature jeune, qui non-seulement n’a personne au monde pour l’aimer, mais qui se sent égarée, hôte inutile et importun, dans un monde ennemi !

Michel me dit… et, chose étrange ! je le regardai droit et courageusement en face, mais lui ne me regarda pas ; il rougit légèrement, il me dit qu’il comprenait ma position, qu’il sympathisait avec moi ; enfin il me pria de pardonner à son père… « En ce qui me touche, ajouta-t-il, je vous prie, ayez toujours confiance en moi, et n’oubliez pas que vous êtes à mes yeux une sœur, oui, une sœur. »

Il me serra la main. Je devins confuse et mon regard s’abaissa ; il me sembla que j’avais attendu autre chose, une autre parole. Cependant je le remerciai. « Non, je vous prie, m’interrompit-il, ne me parlez