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L’Abandonnée.

Ma situation devenait de plus en plus révoltante, insupportable ; mon cœur commençait à s’endurcir dans cette résignation amère qui précède la révolte. Des pensées de plus en plus dangereuses traversaient mon esprit ; je passais les nuits sans lumière, sans sommeil, et je songeais, songeais toujours ; ténèbres au dehors, ténèbres au dedans : je sentais surgir en moi une résolution terrible. Le retour de Siméon Matveitch donna une autre direction à mes idées.

Personne ne l’attendait, nous étions en automne depuis longtemps. On apprit qu’il avait eu des désagréments dans son service et qu’il avait pris son congé ; il avait espéré obtenir le cordon d’Alexandre, et on s’était contenté de lui offrir une tabatière. Aigri contre le gouvernement qui n’avait pas su apprécier ses qualités, contre la société de Saint-Pétersbourg qui lui avait montré peu d’intérêt en ne partageant pas son indignation, il avait résolu de s’établir à la campagne et de s’occuper d’agriculture. Il arriva seul… Son fils, Michaël Simeonitch, ne vint que plus tard, vers le nouvel an.

Mon beau-père passait presque tout son temps dans le cabinet de Siméon Matveitch ; sa faveur croissait toujours. Il me laissait tranquille, il n’avait pas le loisir de songer à moi. Siméon Matveitch s’était mis en tête de monter une filature de coton. Mon beau-père ne comprenait rien aux choses industrielles, mais peu lui importait. Siméon Matveitch savait que Ratsch ne s’y entendait pas, mais Ratsch était