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« Vous dites qu’il est tout jeune ; mais, s’il est votre fils…

« Fils de l’âme, mon petit père, fils de l’âme ! J’en ai beaucoup d’orphelins, moi, ajouta-t-elle en faisant un signe de tête dans la direction du coin où j’avais entendu geindre. Hélas ! seigneur mon Dieu, très-sainte mère de Dieu ! Et vous, mon petit père, mon bon monsieur, je vous en prie, avant de venir, ayez la bonté de penser un petit peu fortement à n’importe qui de vos défunts parents ou amis, qu’ils puissent avoir le royaume des cieux ! Repassez un peu, à part vous, vos défunts, et celui que vous aurez choisi, ayez-le bien dans la tête, tenez-le bien, pour quand mon petit garçon viendra.

— Faudra-t-il dire à votre fils la personne que… ?

— Du tout, du tout, mon petit père, pas un mot ! Il saura bien découvrir dans vos pensées ce qu’il lui faudra. Seulement mettez-vous bien dans l’esprit la personne défunte, et puis à votre dîner buvez un petit peu de vin…, un verre, deux, trois verres. Le vin ne gâte jamais rien. »

La vieille sourit, se lécha les lèvres, et, portant la main devant sa bouche, laissa échapper un soupir.

« Ainsi, à sept heures et demie ? lui dis-je en me levant.

— Sept heures et demie, mon petit père, monsieur, » me répondit avec assurance Mastridia Karpovna.

Je rentrai à mon hôtel. Je ne doutais pas qu’on ne me préparât quelque mystification ; mais comment s’y prendrait-on, voilà ce qui excitait ma