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de ses mains ; cela vient d’en haut, mon doux monsieur… Oui…

— Eh bien ! lui dis-je, c’est affaire conclue. Quand pourrai-je voir votre fils ? »

La vieille se remit à clignoter des yeux, et deux fois tira d’une de ses manches son mouchoir de poche pour le remettre dans l’autre manche. « C’est que, monsieur, nous avons peur…

— Mastridia Karpovna, veuillez prendre ceci, lui dis-je en lui donnant un assignat de dix roubles.

De ses doigts tordus et gonflés, pareils aux serres charnues d’un hibou, la vieille saisit le billet et le fourra dans sa manche ; puis, après avoir fait mine de réfléchir, elle se frappa les genoux de ses mains, comme si elle prenait une résolution soudaine.

« Viens-t’en ici ce soir, mon cher monsieur, me dit-elle, non plus de sa voix ordinaire, mais d’un ton plus grave et plus solennel. Pas dans cette chambre-ci, mais tu auras la bonté de monter au second. À gauche, il y a une porte, ouvre-la, et tu entreras, mon bon monsieur, dans une chambre vide, et dans cette chambre tu verras une chaise. Assieds-toi sur cette chaise et attends, et, quoi que tu voies, ne dis pas un mot et ne fais rien. Et ne t’avise pas de causer avec mon fils, parce que… il est trop jeune, et avec cela il tombe du haut mal. Il est facile de l’effrayer… Il tremble, il tremble comme un poulet,… pauvre petit ! »

Je regardais Mastridia.