dans la contemplation de ses traits, mais j’appris plus tard seulement que c’était ma mère, peinte par son père, sur l’ordre d’Ivan Matveitch.
Combien elle avait changé depuis lors ! Avait-il assez réussi à la briser, à l’anéantir ! Et elle l’avait aimé ! Elle avait aimé ce vieillard ! Était-ce un rêve ? Comment cela était-il possible ? L’aimer, lui ! Et pourtant, lorsque je me rappelais certains regards, certaines paroles, et surtout certains gestes involontaires échappés à ma mère, j’étais contrainte de m’avouer à moi-même avec effroi… oui, qu’elle l’avait aimé !… Oh ! que Dieu préserve chacun de sentiments et d’expériences semblables !
Je remplissais tous les jours mes fonctions de lectrice chez Ivan Matveitch, souvent pendant trois ou quatre heures sans interruption, et à haute voix. Ma santé commençait à s’en ressentir. Notre médecin exprima des craintes pour ma poitrine, il en fit même part une fois à Ivan Matveitch. Mais celui-ci se contenta de sourire, c’est-à-dire non, il ne souriait jamais ; il fit une petite moue gracieuse et répondit :
« Vous ne savez pas ce qu’il y a de ressources dans cette jeunesse.
— Autrefois, cependant, hasarda le médecin, c’était monsieur le commandeur qui…
— Vous rêvez, mon cher, interrompit Ivan Matveitch, le commandeur n’a plus de dents, et il crache à chaque mot. J’aime les voix jeunes. »