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Son nez, plus pointu qu’une alène, flairait l’air sournoisement.

« Oh ! oh ! ma commère, me dis-je à moi-même, tu es une fine mouche, toi ! »

Elle sentait légèrement l’eau-de vie.

Je lui exposai le but de ma visite, dont elle devait d’ailleurs être déjà prévenue. Elle m’écouta en clignotant des yeux, tandis que son nez semblait s’allonger comme le bec d’une poule qui va picoter un grain de blé.

« Oui, oui, me dit-elle enfin, Ardalion Matveïtch nous a dit comme cela… que monsieur aimerait à voir ce que sait faire notre enfant… Seulement c’est que nous craignons…

— Quant à cela, lui dis-je en l’interrompant, vous pouvez être bien tranquille… Je ne suis pas un mouchard.

— Oh ! mon petit père, que nous dites-vous là ? s’écria la vieille. Qui est-ce qui oserait penser pareille chose d’un monsieur comme vous ? Et puis à propos de quoi nous moucharder ? Est-ce que nous faisons quelque chose de mal ? Mon pauvre enfant, monsieur, n’est pas de ceux qui voudraient faire ce qu’il ne faudrait pas… ni se mêler de vilaines sorcelleries… Ah ! Dieu garde, et la très-sainte mère de Dieu ! (Ici la vieille se signa trois fois.) Dans tout le gouvernement, il n’y en a pas un pour jeûner et prier comme lui, monsieur. Même c’est pour cela qu’il a obtenu cette grâce-là… Que voulez-vous ? ce n’est pas œuvre