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L’Abandonnée.

Mais je ne voudrais pour rien au monde vous être importun.

— Que parlez-vous d’être importun ? s’écria Ratsch. Allons, Susanne Ivanowna ! Une, deux, trois !

Elle sortit sans prononcer un mot.

XIII

Je ne m’attendais pas à ce qu’elle revînt ; mais elle rentra bientôt sans avoir même changé de toilette. Elle s’assit dans un coin, et me regarda une ou deux fois avec attention. Discerna-t-elle dans mon attitude ce respect involontaire qu’elle m’inspirait, et que je ne m’expliquais pas à moi-même, ce je ne sais quoi qui était plus fort que de la curiosité, plus qu’un intérêt banal ? ou se trouvait-elle ce jour-là dans une disposition d’esprit plus douce ? Je l’ignore ; mais elle se leva, posa d’un mouvement encore irrésolu ses mains sur les touches, et regardant par-dessus son épaule, elle pencha la tête en arrière vers moi, comme pour me demander ce qu’elle devait jouer ? Du reste, avant que j’eusse pu dire quelque chose, elle s’était assise, avait pris son cahier de musique, l’avait rapidement ouvert, et avait commencé.

Dès ma tendre enfance, j’ai toujours aimé la musique, mais alors j’étais assez étranger aux secrets de cet art, et je ne connaissais, parmi les compositions des grands maîtres, que le plus petit nombre. Si M. Ratsch n’avait pas murmuré avec un certain dé-