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L’Abandonnée.

dirigea vers moi ses yeux noirs, en mordillant le bout des doigts de sa main gauche, habitude que je lui avais déjà surprise et qui se rencontre souvent chez les natures nerveuses.

Il n’y avait personne autre dans l’appartement.

« Voici, commença M. Ratsch, et il tapa sur sa cuisse, de quoi nous nous occupons, Susanne Ivanowna et moi ; nous révisons les comptes. Ma femme n’entend pas grand chose à l’arithmétique, et, pour ma part, j’économise mes yeux. Je ne puis plus lire sans lunettes. Que le jeune monde nous vienne donc en aide, ha ha ha ! Il faut de l’ordre. Au reste, rien ne presse… Hâte-toi lentement ! ha ha ha ! »

Susanne ferma le livre et voulut se retirer.

« Attends donc, attends un peu, reprit M. Ratsch. » Tu n’as pas fait toilette, mais qu’importe ! (Elle portait une très-vieille robe à manches extrêmement courtes, qu’on eût prise pour une robe d’enfant.) Notre cher visiteur ne verra pas de mal à ce que je mette encore un peu d’ordre dans les comptes de la dernière semaine… Vous permettez ? dit-il en dirigeant vers moi sa large face ; nous n’en sommes pas aux cérémonies entre nous, j’espère.

— De grâce, ne vous laissez pas déranger, répondis-je.

— Oui, oui, mon très-honoré, vous devez le savoir vous-même, que feu le tzar Alexis Romanow avait coutume de dire : « Au travail le temps, — au plaisir l’instant ! » Mais aujourd’hui, ne consacrons qu’un instant au travail… Ha ha ha ! qu’était-ce que ces