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L’Abandonnée.

— En effet… je ne l’aime pas, répliqua-t-elle… elle me parut avoir saisi mon allusion.

— Voilà donc où nous en sommes, pensai-je avec une certaine satisfaction.

— Susanne Ivanowna aime beaucoup la musique, » dit tout à coup Mme Ratsch, se mêlant à notre entretien, et elle ajouta dans son jargon russo-allemand : « Elle joue très bien du piano ; mais plus on la prie, plus elle refuse d’en jouer. »

Susanne ne répondit rien à ces paroles, elle ne se retourna même pas ; mais presque imperceptiblement, elle dirigea les yeux de côté vers Mme Ratsch, sans relever ses paupières baissées. De ce mouvement des seules prunelles je pus déduire quels sentiments elle nourrissait pour la seconde femme de son beau-père… Et je ressentis encore une certaine satisfaction.

Cependant le duo avait pris fin. Fustow se leva, s’avança d’un pas mal assuré vers la fenêtre où je causais avec Susanne, et lui demanda si elle avait reçu la musique qu’il avait promis de faire venir de Saint-Pétersbourg.

« Un pot-pourri sur Robert le Diable, ajouta-t-il en s’adressant à moi, vous savez, cet opéra si couru dans ces derniers temps ?

— Non je ne l’ai pas encore reçue, repartit Susanne », et elle continua rapidement à voix basse, le visage tourné vers la fenêtre : « Je vous en prie, Alexandre Davidovitch, soyez assez aimable pour ne