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L’Abandonnée.

toisie, voyant que je souffrais dans mon amour-propre ; mais vous ne connaissez pas les débuts. Vous devriez étudier un manuel, Algayer ou Petrow, par exemple.

— Croyez-vous ? Mais où me procurer cela ?

— Venez me voir ; je vous en donnerai un. »

Il me remit son nom et son adresse. Dès le jour suivant, je fus le trouver, et une semaine plus tard nous ne nous quittions plus.

III

Mon nouvel ami s’appelait Alexandre Davidovitch Fustow. Il occupait dans la maison de sa mère, riche veuve d’un conseiller d’État, un pavillon séparé, comme moi chez ma tante, et jouissait de la même indépendance. Il était employé surnuméraire au ministère de la maison impériale. Je me liai intimement avec lui, car jamais je n’avais rencontré un jeune homme qui m’eût inspiré plus de sympathie. Tout en lui était gracieux et avenant : sa taille bien prise, sa démarche, sa voix, sa physionomie un peu fade mais fine, ses yeux d’un bleu rêveur, son nez régulier, avec de jolis petits méplats, le sourire invariablement affable de ses lèvres roses, les boucles légèrement frisées de sa chevelure soyeuse, encadrant un front tant soit peu resserré vers le haut et aussi blanc que la neige. Au moral, Fustow se distinguait par une égalité d’humeur peu commune et par une