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à deux sagènes, pas plus, du bord de la rivière. Je l’ai trouvé en suivant le bord.

— Allons, marche, conduis-moi ! »

Siméon prit les devants. « Voilà, voyez-vous ! Il n’y a qu’à suivre la rivière ; et là, tout de suite… »

Mais au lieu de rencontrer la rivière, nous nous trouvâmes au bord d’un fossé, en face d’un hangar vide.

« Eh ! arrêtez ! s’écria tout à coup Siméon. Je dois avoir pris trop à droite. Tournons un peu de ce côté. »

Nous tournâmes à gauche, et nous tombâmes dans un fourré d’herbes si épais, que nous eûmes quelque peine à nous en tirer. Autant que je pouvais m’en souvenir, il n’existait pas de fourré aussi épais dans le voisinage de notre village. Puis, tout à coup, nous sentîmes clapoter sous nos pieds un marécage parsemé de mottes de mousse que je n’avais jamais remarquées non plus. Nous retournâmes sur nos pas… Devant nous s’éleva un monticule à pente roide, surmonté d’une cabane d’où semblait partir un ronflement. Nous hélâmes à plusieurs reprises, Siméon et moi, l’habitant de la cabane ; quelque chose remua au fond, la paille se souleva, et une voix enrouée poussa le cri des veilleurs de nuit.

Nous retournâmes de nouveau… la plaine, la plaine, rien que la plaine…

J’eus en ce moment une forte envie de pleurer… Je pensai aux paroles du bouffon dans le Roi Lear : « Cette nuit finira par nous rendre tous fous. »