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XIV

Il serait difficile de raconter combien de fois nous nous trompâmes de chemin, combien de fois nous nous séparâmes. Les lanternes ne nous servaient de rien ; elles ne pouvaient pas écarter, même un peu, cette brume blanche, presque claire, qui nous entourait. Siméon et moi nous nous perdîmes plusieurs fois l’un l’autre, malgré nos appels répétés ; moi criant : Téglew ! Élie Stépanitch ! lui : Maître ! monsieur !

Le brouillard nous troublait à tel point que nous errions comme dans un rêve. Nous fûmes bientôt enroués tous les deux : l’humidité pénétrait jusqu’au fond de nos poitrines. Malgré tout, cependant, grâce aux bougies posées sur les fenêtres, nous revînmes à la cabane. Notre recherche en commun n’avait abouti à rien. Nous nous gênions seulement l’un l’autre ; nous résolûmes donc de ne plus penser à ne pas nous perdre, mais d’aller chacun de son côté. Il prit à gauche, moi à droite, et bientôt je cessai d’entendre sa voix. Le brouillard, à ce qu’il me semblait, avait pénétré jusque dans mon cerveau ; et j’errais, comme perdu, me bornant à crier : Téglew ! Téglew !

« Me voici, » répondit soudain une voix.

Dieu ! que je me sentis heureux ! Je me précipitai avidement du côté où j’avais entendu la voix. Une forme humaine se dessina vaguement devant moi comme une tache noire. Je courus au devant… Enfin !