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faisant votre tournée de visites. Comptez-vous sur sa fortune ? Mais il a une douzaine d’enfants ! »

Je parlais avec feu… Téglew se courba, et son visage se couvrit de rougeur…, d’une rougeur inégale, par plaques…

« Pas de sermons, je vous prie, dit-il d’une voix sourde. D’ailleurs, je ne me justifierai pas. Je suis la cause de sa mort, et maintenant, il faudra que je paye ma dette. »

Il baissa la tête, et se tut. Je ne trouvais plus rien à lui dire.

X

Nous restâmes ainsi un quart d’heure ; il détournait les yeux ; moi je le regardais, et je remarquai que ses cheveux sur son front se bouclaient d’une façon particulière ; au dire d’un médecin militaire par les mains duquel avaient passé beaucoup de blessés, c’était un signe certain de chaleur et de sécheresse au cerveau. L’idée me revint encore à l’esprit que la main du destin s’appesantissait sur cet homme, et que ses camarades avaient eu quelque raison de voir en lui quelque chose de fatal. Et pendant ce temps, je le condamnais intérieurement. « Une roturière ! pensais-je ; et quelle espèce d’aristocrate es-tu donc !

— Vous me condamnez peut-être, Riedel, dit tout à coup Téglew, comme s’il avait deviné ma pensée. Moi-même… cela me pèse. Mais comment faire ? Comment faire ? »