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« Je ne me suis pas trompé un seul instant sur le sens de ses dernières paroles, ajouta Téglew ; je suis persuadé qu’elle en a fini avec la vie, et… et que c’est sa voix, que c’est elle qui m’appelait là-haut…, vers elle… J’ai reconnu sa voix… Il n’y a qu’un moyen d’en finir.

— Mais pourquoi ne l’avez-vous pas épousée, Élie Stépanitch ? lui demandai-je. Est-ce que vous ne l’aimiez plus ?

— Si fait, je l’aime encore passionnément. »

À cette réponse, messieurs, je regardai Téglew avec ébahissement. Je me rappelai un de mes amis, homme très-intelligent, qui avait épousé une femme laide, sotte et pauvre, et qui était malheureux en ménage. « Vous l’aimiez sans doute ? » lui demanda quelqu’un en ma présence. — « Je ne l’aimais pas du tout. — Pourquoi l’avez-vous épousée, alors ? — Parce que !… » Téglew aimait passionnément cette jeune fille et ne l’épousait pas. Pourquoi ? Pour la même raison : Parce que !…

« Pourquoi ne l’épousez-vous pas ? » répétai-je.

Le regard étrangement somnolent de Téglew errait sur la table.

« On ne peut pas… expliquer cela… en quelques mots, commença-t-il en hésitant. Il y a eu des causes. Et puis c’est une roturière. Et mon oncle… je devais aussi penser à lui.

— Votre oncle ? m’écriai-je. Mais que peut faire là votre oncle ! Vous le voyez à peine au jour de l’an, en