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Prr… Une caille effrayée partit de dessous mes pieds, et s’enfuit dans l’air, droit comme une balle. Je tressaillis involontairement… Quel enfantillage !

Je regardai en arrière. Téglew était encore à l’endroit où je l’avais laissé. Je me rapprochai de lui.

« Vous perdez votre temps à chercher me dit-il. Cette voix est arrivée jusqu’à nous… jusqu’à moi… de très-loin. »

Il passa sa main sur son visage, et se dirigea à pas lents vers la cabane. Mais je ne voulais pas me rendre si vite, — et je retournai vers le jardin. Que quelqu’un eût en effet appelé trois fois « Élie », cela ne faisait pas l’ombre d’un doute ; que dans cet appel il y eût eu quelque chose de plaintif et de mystérieux, je devais aussi me l’avouer à moi-même. Mais qui sait ? cela paraissait incompréhensible et cela pouvait peut-être s’expliquer aussi simplement que le bruit qui avait troublé Téglew.

Je marchai le long de la haie, m’arrêtant parfois pour regarder autour de moi. Près de la haie, à peu de distance de notre cabane, s’élevait un vieux saule, au feuillage épais ; on le voyait comme une tache noire au milieu de la blancheur du brouillard, de cette blancheur opaque qui aveugle et qui arrête le regard mieux que l’obscurité de la nuit. Tout à coup il me sembla voir quelque chose d’assez grand et de vivant remuer auprès du saule. Je m’élançai en criant : « Arrêtez ! qui est là ? » J’entendis des pas légers comme ceux d’un lièvre. Une figure bizarre, homme ? femme ? je ne pus le distinguer, fila rapidement près