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comme lui, mais, sauf ce murmure incessant, presque imperceptible, qui est comme la respiration de la nuit, je n’entendis rien. Jetant par intervalle un regard l’un sur l’autre, nous restâmes immobiles pendant quelques minutes ; nous nous apprêtions à rentrer…

« Élie ! » murmura une voix faible comme un souffle, qui semblait partir de la haie.

Je regardai Téglew, mais il semblait ne rien entendre, et restait la tête penchée.

« Élie !… Élie !… » redit la voix plus clairement, si bien qu’on pouvait constater que c’était la voix d’une femme. Nous tressaillîmes tous les deux.

« Eh bien ! me dit Téglew à voix basse, vous ne douterez plus, maintenant.

— Attendez, lui répondis-je du même ton, cela ne prouve encore rien. Il faut voir s’il n’y a pas là quelqu’un… quelque mauvais plaisant… »

Je m’élançai à travers la haïe et je m’avançai dans la direction d’où, autant que j’avais pu en juger, était venue la voix.

Je sentais sous mes pieds la terre molle et friable ; de longues bandes parallèles se perdaient dans le brouillard. Je me trouvais dans un potager. Mais rien ne bougeait, ni devant moi, ni autour de moi. Tout semblait plongé dans l’engourdissement du sommeil. Je fis encore quelques pas.

« Qui est là ? » m’écriai-je avec une expression qui rappelait assez bien celle que Téglew avait eue un peu auparavant.