Page:Tourgueniev - Étranges histoires (Étrange histoire ; Le roi Lear de la steppe ; Toc, Toc, Toc ; L’Abandonnée), 1873.djvu/165

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sière éducation ; des goûts aristocratiques, — et des frivolités de petit-maître… Mais c’est assez philosopher ; j’ai promis un récit.

II

Le sous-lieutenant Téglew appartenait à ce groupe des personnages « fatals », bien qu’il n’eût pas l’extérieur sous lequel on se représente cette sorte de héros : il ne ressemblait en rien, par exemple, au « fataliste » de Lermontof.

C’était un homme de taille moyenne, assez solide, légèrement voûté, blond et les sourcils presque blancs ; il avait un visage arrondi et frais, des joues roses, un nez relevé, un front bas et élargi aux tempes, des lèvres épaisses, bien dessinées et éternellement immobiles : il ne riait et même ne souriait jamais. Parfois seulement, quand il était fatigué et qu’il reprenait haleine, il laissait voir des dents régulières et blanches comme du sucre. La même immobilité artificielle régnait dans tous ses traits, qui sans cela eussent eu une expression de bienveillance. La seule partie de son visage qui ne fût pas complétement ordinaire, c’étaient ses yeux aux prunelles vertes, aux cils jaunes. L’œil droit paraissait un peu plus élevé que le gauche, dont la paupière à demi fermée donnait au regard un étrange caractère d’inégalité et de somnolence. La physionomie de Téglew, qui ne manquait d’ailleurs pas d’un certain charme, avait une expression constante de mécontentement